La création et le management d’équipes multiculturelles sont des phénomènes de plus en plus fréquents dans l’univers du travail actuel, qui voit la mobilité géographique exploser et le nombre de rapprochements entre entreprises de cultures différentes se multiplier. Les membres et les managers de ces équipes sont confrontés à des langues, des méthodologies de travail et des cultures différentes. Comment faire face à ces nouveaux enjeux ? Avec quels outils ?
Nous avons voulu demander à Sabrina Annicchiarico-Millet son éclairage sur un sujet particulièrement d’actualité dans le panorama économique mondial actuel, où la globalisation ne se limite plus à l’exportation / importation et à l’exposition à de nouveaux produits et des nouveaux styles de vie à travers les médias, mais touche désormais toute la population mondiale, de plus en plus mobile pour les raisons les plus diverses.
Si nous concentrons notre attention plus particulièrement sur l’axe Franco-Italien, la France est le 2ème client et le 2ème fournisseur de l’Italie, l’Italie est le 3ème client et le 3ème fournisseur de la France (interview David Hubert-Delisle, directeur de Business France en Italie et de l’ensemble de la Méditerranée Est pour Lepetitjournal.com, 19/02/2020). On compte environ 40.000 Français en Italie[1] et environ 350.000 Italiens en France [2].
Pourtant, le facteur interculturel n’est pas toujours la priorité quand il s’agit d’une opération de rapprochement commerciale ou même organisationnel, surtout quand le Pays en sujet est considéré un Pays proche, même « cousin », comme se définissent les Français par rapport aux Italiens et vice versa.
Lors d’une fusion / acquisition les entreprises semblent se concentrer, encore aujourd’hui, sur les aspects financiers et légaux, mais négligent parfois les aspects organisationnels et culturels liés au travail ensemble des équipes… Quels sont les enjeux d’une « mauvaise » gestion du facteur interculturel ?
La diversité culturelle peut parfois créer des malentendus, qui rendent les relations interpersonnelles difficiles et le travail moins efficace. Négliger l’importance de la différence culturelle peut transformer la collaboration avec des collègues de nationalités et de langues différentes en une expérience frustrante. Ne pas tenir compte de ces différences peut donner lieu à des conflits mettant en danger la réussite de tout projet. C’est pour ces raisons qu’il va falloir surmonter ces obstacles et surtout, développer une sensibilité interculturelle et des compétences qui nous permettront d’interagir efficacement avec des personnes d’autres cultures.
Est-ce que notre management en France et en Italie est prêt pour ce défi ? Est-ce que nos managers possèdent les compétences adaptées ?
Le besoin de développer une sensibilité et de compétences interculturelles naît du constat que les différences culturelles créent des malentendus dans la communication, font perdre du temps et, parfois, portent un préjudice fatal à l’opération de rapprochement.
Ceci est dû, dans la plupart des cas, au fait que le message envoyé est interprété selon nos propres codes culturels, ce qui modifie le sens du message car il ne prend pas en compte le contexte de référence dans lequel il a été formulé, que nous ne pouvons pas connaître a priori. Ceci malgré le fait que nous pouvons déjà avoir été exposés à des contextes multiculturels ou avoir déjà voyagé voire travaillé à l’étranger ou, tout simplement, dans d’autres entreprises.
En gros, l’expérience n’est pas toujours suffisante pour générer la compétence : entre la compréhension intellectuelle et la modification des comportements le pas peut être compliqué si pas correctement accompagné. Ce qui, pourtant, reste une idée reçue dans beaucoup d’entreprises, qui tendent à choisir les managers à envoyer en expatriation, souvent dans des rôles clefs, en se basant uniquement sur leur maîtrise de l’anglais ou de la langue locale et sur le fait que la personne ait déjà fait une expérience professionnelle ou personnelle à l’étranger…
Quelles sont les compétences nécessaires pour être à l’aise dans un environnement multiculturel ?
À partir d’une série de recherches qui ont été menées dans le domaine de l’interculturel, on peut considérer qu’il y a des composantes essentielles permettant de développer une sensibilité et de compétences interculturelles.
Ces composantes peuvent être :
- Les attitudes qui peuvent se traduire par le respect et la curiosité envers les autres cultures, ainsi que par l’ouverture aux individus et à la diversité culturelle ;
- Les capacités d’écoute, d’interactions et d’adaptation à d’autres environnements culturels ;
- Les compétences linguistiques, d’empathie et de flexibilité cognitive : les individus font preuve de patience, maîtrisent leurs émotions face aux obstacles et sont conscients de leur appartenance culturelle ;
- Les comportements qui visent à agir pour promouvoir le bien commun, réduire les préjugés, la discrimination et le conflit, et pour une ambiance positive au travail. Les individus sont prêts à explorer le nouvel environnement culturel, acceptent plus facilement des comportements qui sont contraires à leurs principes. Ils font preuve d’un esprit d’adaptabilité pour s’ouvrir à la nouvelle culture ;
- L’attitude positive (émotionnelle et affective) : elle est considérée comme un point de départ pour pouvoir développer la compétence et la sensibilité interculturelles. À la base de cette attitude, on retrouve des traits innés, comme la capacité et le désir de rencontrer des individus qui viennent de cultures différentes, sans préjugés, avec du respect, de la curiosité et en sachant également gérer l’incertitude et l’ambiguïté de la situation.
- Les connaissances et les capacités culturelles : un rôle central est attribué à la compréhension de l’autre du point de vue des valeurs et du contexte historique, politique et religieux.
- Les réflexions interculturelles : dans ce cas-là, on parle de capacité à s’adapter d’une manière flexible à des situations interculturelles, de capacité à établir avec les autres des relations empathiques.
- La capacité à interagir d’une manière constructive : la capacité d’agir et de communiquer de façon appropriée et efficace dans des situations interculturelles.
Comment on développe des compétences interculturelles ?
Le développement de cette sensibilité et des compétences interculturelles est un processus qui prend du temps. C’est pour cette raison qu’une formation en management interculturel est incontournable, même si pas suffisante, à surmonter plus rapidement les malentendus entre cultures différentes. Le but ? Pouvoir travailler plus sereinement pour atteindre rapidement tous les objectifs souhaités.
Entrer en syntonie avec des cultures différentes de la sienne est une des conditions sine qua non pour pouvoir travailler et vivre efficacement dans un contexte multiculturel. Il ne suffit pas de savoir s’exprimer avec des phrases grammaticalement correctes. Suivre une formation interculturelle aide à surmonter les stéréotypes et les préjugés et à nouer des relations avec des interlocuteurs de manière plus consciente et authentique.
Cette formation peut constituer un soutien précieux pour résoudre des problèmes liés à la communication dans un contexte multiculturel. Elle permet, plus largement, de prendre conscience de nos propres valeurs et de celles des autres. Elle constitue un outil de déchiffrage de nos premières impressions et nous aide à adopter un nouveau point de vue. La formation va vous apprendre à tirer profit de la diversité culturelle mais peut aussi nous aider, à travers la perception d’autres façons de penser et d’agir, à changer la perception que nous avons de nous-même.
Il s’agit ni plus ni moins de se donner plus de chances de sécuriser l’investissement en raccourcissant les temps d’intégration et en réduisant les coûts associés.
L’interculturel est donc un véritable mode de vie ?
Oui, cela peut le devenir, plus ou moins facilement en fonction de l’environnement où nous avons grandi. Développer sa sensibilité interculturelle, c’est apprendre à reconnaître les principales différences de perception entre les cultures et savoir comment les gérer. Cet apprentissage peut être considéré comme un processus, qui exige d’abord la connaissance et l’acceptation de soi et de ses origines, avant de pouvoir être en mesure de comprendre les autres.
La notion d’acceptation est cruciale car, dans cette phase d’apprentissage, ce que nous considérons comme acquis et ce à quoi nous nous accrochons peut être remis en question. Cet apprentissage est un défi envers notre propre identité, mais il peut aussi devenir un mode de vie et même un moyen d’enrichir notre propre identité et d’apprendre à « jouer sur plusieurs scénarios » et à vivre ensemble dans un monde différent, même dans plusieurs mondes différents. De ce point de vue, l’apprentissage interculturel pourrait devenir le point de départ d’une coexistence plus pacifique.
[1] selon le nombre d’inscrits aux registres tenus par les consulats en Italie au 1er janvier 2020, selon le Décret authentifiant la population des Français établis hors de France, récemment publié au Journal Officiel.
[2] selon les données officielles du AIRE-Associazione Italiani Residenti all’Estero du 2007 les citoyens italiens résidents en France résultent être 348.722 alors qu’ils sont 370.000 selon le “Rapporto Italiani nel mondo 2010” de la Fondazione Migrantes.