Reportage en images : Hervé Tallon
Le 4 novembre 2019, a eu lieu l’atelier « Manager en France et en Italie », organisé par l’IEP-Italian Executives Paris dans le magnifique atelier d’Angelini Design à Paris.
Un moment privilégié pour l’équipe AIFI – composée pour l’occasion d’Elisa Domenighini, d’Alessandra Meacci et de moi-même – qui a eu l’occasion d’échanger et de travailler avec les 40 participants autour du management et de la façon dont il est exercé en France et en Italie.
Manager en France et en Italie : l’éclairage interculturel
Dans la première partie de l’atelier, nous avons abordé les enjeux du management en France et en Italie de façon plutôt « traditionnelle », afin d’identifier les éléments fondamentaux du management et les particularités des deux cultures. En particulier, nous avons choisi 3 aspects, à notre avis incontournables dans les cas spécifiques de la France et de l’Italie :
- le rapport à la hiérarchie : une vision très différente dans les deux cultures, qui par leur histoire ont développé des relations au pouvoir et à l’autorité plutôt divergentes ;
- le rôle du manager : on n’attend pas du tout les mêmes comportements d’un chef dans les 2 pays, car la valeur ajoutée perçue et attendue n’est pas la même et on ne devient pas « chef » de la même façon, par les mêmes parcours ;
- le rapport au travail : pilier de la société en Italie, source de tous les débats depuis la Révolution Française en France, l’étymologie même du mot assume la connotation d’opérosité dans un cas (« Labor » -> « Lavoro »), d’esclavage dans l’autre (« Tripalium« , un outil utilisé pour attacher les animaux et les esclaves -> « Travail »).
L’atelier participatif
Ensuite, nous avons travaillé sur les enjeux du travail en équipe multiculturelle franco-italienne, en particulier sur 4 aspects :
- l’organisation dans sa globalité (l’entreprise, dans notre cas)
- l‘équipe de travail au quotidien (par exemple, le service marketing)
- l’individu et son rôle dans l’équipe
- le sens du travail
Notre méthodologie
Grâce à la méthode Ishikawa, utilisée dans le coaching d’équipe pour l’identification du cheminement causes-effets et qui s’appuie sur une démarche coopérative entre les membres, nous avons consacré la seconde partie de l’atelier à un véritable exercice pratique. A l’aide de post-it, les participants ont pu noter les comportements qu’ils ont adoptés dans leurs entreprises respectives, ceux qui se sont révélés efficaces (en vert) et, au contraire, ceux qui ont généré des incompréhensions (en orange). Les post-it ont ensuite été affichés sur les tableaux des deux pays, sur les « arêtes »qui représentent les 4 aspects analysés.
Le travail a été particulièrement riche, en vertu des expériences consolidées des managers présents, tous avec un vécu professionnel important à cheval sur les deux pays : une centaine de post-it a été collée sur les tableaux !
Les résultats
Voici les mots-clefs les plus écrits pour la France (en bleu) et pour l’Italie (en vert) :
Les résultats récoltés ont été élaborés et discutés par la suite, à travers l’éclairage apporté en début d’atelier sur les valeurs fondamentales des deux pays en matière de management, et nous avons pu restituer quelques points de réflexion intéressants.
En France, l’organisation est incontournable : elle est en même temps ce qui assure la réalisation efficace du travail, mais aussi celle qui a récolté le plus grand nombre de post-it orange. Ceci à cause de 3 éléments perçus comme contraignants :
- le formalisme excessif
- la rigidité
- les procédures lourdes
Le contrepoids à l’organisation réside dans l’individu, qui bénéficie de l’organisation dans sa dimension la plus positive, notamment s’il a un bon cursus scolaire (Grandes Écoles, Masters prestigieux, etc.), car on lui confiera des périmètres de responsabilité clairs dans lesquels il pourra exercer son travail en toute autonomie, deux dimensions fondamentales dans la culture française. Alors que cela représente une difficulté pour les Italiens travaillant en France, où le système de valorisation est basé sur des choix pré-professionnels et non sur un savoir-faire éprouvé.
En revanche, chaque individue est la roue (plus ou moins importante) d’un mécanisme très complexe, qui nécessite une coordination importante pour ne pas s’arrêter : c’est ce qui donne du sens au travail de chacun, le fait de se sentir appartenir à quelque chose de plus grand que soi. Il s’agit d’un besoin fondamental dans la culture française, d’où la détermination à vouloir protéger l’organisation et, dans certains cas, des actions de résistance parfois très musclées lorsqu’on la perçoit en danger (par exemple les grèves jusqu’au-boutistes à l’occasion de certaines réformes).
En Italie, ce n’est ni l’individu ni l’organisation qui compte, mais l’équipe de travail. Elle peut être un sujet d’organisation décisif, si elle réussit à se doter d’une méthode de travail qui permet de prendre les bonnes décisions aux bons niveaux de responsabilité, sans recourir systématiquement au « chef ». Sinon, les réunions se résument à de la pure convivialité, très agréable mais pas très efficace.
L’organisation, par contre, se chevauche souvent avec le « patron », quand il y a une fusion de l’entreprise avec l’entrepreneur. Ceci est particulièrement vrai dans les petites et moyennes entreprises (la majorité des entreprises italiennes), où la figure du manager est fortement influencée, voire confondue, avec le fondateur ou « la famille ».
En même temps, l’individu sent pouvoir construire quelque chose, comme le fait l’artisan. Le métier le valorise et il en est fier : le travail est la voie privilégiée pour s’épanouir et conquérir sa place dans l’organisation et dans la société (l’Italie est une république démocratique fondée sur le travail : 1er article de la constitution italienne), c’est ce qui donne du sens à sa vie sociale.
Quelques leçons à tirer de notre atelier « Manager en France et en Italie »
Concernant le rapport à la hiérarchie et le rôle du manager, nous l’avons vu, le focus de la collaboration repose sur deux piliers différents : en France c’est plutôt l’organisation dans sa complexité, en Italie c’est plutôt le « patron ». Le poids de la décision ne se répartit pas de la même façon, d’où des process décisionnels et une façon d’organiser le travail bien différents :
- d’un côté nous pouvons observer plus d’efficacité et d' »organisation » (au sens de structuration et méthodologie). L’organisation peut nous prendre du temps, mais nous « protège », c’est pour elle que nous travaillons : le chef se doit d’être à la hauteur de son rôle, sans envahir le périmètre de ses collaborateurs.
- de l’autre nous pouvons retrouver plus de rapidité et de flexibilité, c’est notre chef qui nous « protège », c’est pour lui que nous travaillons : l’organisation est bien trop lourde et lente, il vaut mieux rester sur la dimension d’équipe.
Dans une équipe franco-italienne, les collègues italiens ont l’opportunité de s’appuyer sur les compétences organisationnelles françaises pour augmenter l’efficacité du travail en équipe. En même temps, les collègues français ont l’opportunité de profiter de la « confusion créative » italienne, qui va apporter de l’énergie et du dynamisme et profiter à l’entreprise. Le secret se trouve probablement dans le mélange équilibré des deux approches.
Mais il est judicieux de se souvenir que si les méthodologies de travail partagées font partie des comportements professionnels, malgré l’impact inévitable sur les préférences des individus, elles peuvent assez facilement devenir complémentaires et synergiques sans que cela ne perturbe de façon trop profonde les sensibilités des uns et des autres, car des dimensions plus profondes entrent en jeu.
Le rapport à la hiérarchie, au-delà de la dimension organisationnelle du travail, cache aussi une dimension plus intime qui est liée, au même titre que le rapport au travail, au rôle que les individus sentent devoir remplir dans l’organisation et, plus largement, dans la société : il peut assumer les connotations du rapport au « pouvoir ». Les deux aspects prennent donc racine beaucoup plus en profondeur dans l’échelle des valeurs. Il ne faut pas oublier que les deux visions sont bien différentes :
- d’un côté son travail (ou mieux, son métier et le fait même d’avoir un emploi) représente un pilier fondamental dans la vie personnelle, car il donne un statut, une dignité. Le système de valorisation est basé sur le savoir-faire acquis et démontré sur le terrain (la « gavetta« ), sur l’expérience, et il est directement proportionnel à l’ancienneté dans un métier et, par conséquent, souvent à l’âge (par exemple la promotion au statut de cadre, qui s’acquiert une fois qu’on entre dans la sphère restreinte des encadrants, ceux qui encadrent, justement).
- de l’autre, c’est le travail qui doit faire sens, car il n’est qu’une partie de sa vie, mais ne s’y résume pas. Le système de valorisation est basé sur des choix pré-professionnels, notamment un parcours d’études supérieures, voire un parcours de mise à niveau durant la vie professionnelle (par exemple le passage au statut de cadre, qui s’acquiert automatiquement à l’obtention d’un certain niveau d’études, comme un diplôme d’école de commerce ou d’ingénieur).
Dans une équipe franco-italienne, les collègues italiens devront donc prendre en compte le besoin des collègues français de vouloir apporter leur pierre à l’édifice. Ils devront aussi prendre en compte leur réticence naturelle à faire confiance à la hiérarchie, qui intervient uniquement en cas de nécessité, c’est-à-dire quand le niveau décisionnel le demande (le moins possible, on espère). En même temps, les collègues français devront prendre en compte le besoin des collègues italiens d’impliquer systématiquement la hiérarchie dans leur quotidien, au-delà des procédures. Cette approche demande des capacités d’écoute et de compréhension de ce qui est vraiment incontournable et porteur de sens pour l’autre : poser le cadre, définir un terrain d’entente, en exprimant clairement ses attentes et ses besoins, en s’assurant d’avoir compris le cadre de l’autre.
Tout le monde devra être conscient que l’homonymie des titres n’indique pas forcément qu’on se trouve en présence d’un homologue : un Responsable et un Directeur n’exercent peut-être pas les mêmes activités et n’ont peut-être pas les mêmes compétences, car derrière on pourra retrouver un niveau d’études, une catégorie socio-professionnelle et un niveau d’expérience totalement différents, donc un périmètre de responsabilités qui pourra être sensiblement différent. On n’attend pas les mêmes choses d’un ingénieur en France et en Italie, car on ne devient pas manager par le même parcours et pour les mêmes raisons. On ne reconnaît pas non plus les mêmes atouts aux personnes : la façon de relationner change donc beaucoup, non seulement en vertical, mais aussi en horizontal.
Ce travail pourra, nous l’espérons, aider les managers en contexte franco-italien à mieux se connaître, se comprendre et s’appuyer sur les points de force de chacune des 2 cultures, avec pour finalité l’amélioration de l’efficacité des équipes et la fluidité de la collaboration. Si vous le souhaitez, vous pouvez télécharger notre e-book « Manager en France et en Italie » en cliquant sur l’image ci-dessous :