Vendredi 5 avril 2019, j’ai eu le grand plaisir d’intervenir au 19ème colloque RH[1], organisé par la superbe équipe des étudiants de 3ème cycle « Responsable en Gestion des Ressources Humaines » de l’école ISFOGEP[2], à côté d’intervenants de haut niveau.
Ce fut une occasion précieuse d’échanges d’idées et d’expériences, sur une thématique particulièrement stratégique : celle de l’engagement en tant que levier de la performance économique. Cela m’a inspiré quelques réflexions en clé interculturelle, que j’ai voulu mettre par écrit et partager avec vous.
Quel lien entre l’engagement et la performance économique ?
Les enjeux des managers et des RH sont aujourd’hui de jongler entre le besoin de pérennité de l’organisation, à la base de laquelle on retrouve la performance économique, et les besoins d’épanouissement des personnes qui la composent, condition incontournable pour obtenir leur engagement. Les enjeux à prendre en compte sont :
- La variabilité des besoins. Les besoins, comme nous le verrons, peuvent changer considérablement en fonction de la culture d’appartenance, sans compter les besoins plus strictement individuels issus de la personnalité des uns et des autres. A tout cela il faut rajouter un autre élément de complexité, à savoir les perspectives de chacun dans l’organisation : les personnes en contrat court (stage, CDD, intérimaire …), de retour d’une longue absence ou proche de la retraite.
- Le manque de préparation de la classe managériale. La classe managériale, notamment intermédiaire, est aujourd’hui coincée entre les attentes du « haut de la pyramide » – de plus en plus orientées vers plus de performance, de réactivité et d’optimisation des coûts – et les attentes des collaborateurs. Souvent non préparés à faire face à ce challenge, les managers et les RH eux-mêmes partagent les mêmes besoins, en leur qualité de collaborateurs.
- Le cadre législatif qui ne laisse pas forcément toujours la liberté d’adopter tous les leviers qui pourraient être efficaces et impose souvent des contraintes.
Qu’est-ce que l’engagement ?
Lors de ce débat j’ai pu apprécier l’intervention vidéo du professeur Maurice Thevenet – véritable référence sur le thème de l’engagement [vidéo ci-dessous] – qui a bien introduit le sujet en donnant une définition de l’engagement que je trouve efficace et, en même temps applicable de façon transverse dans les diverses cultures :
L’engagement est ce qu’on met de soi-même dans une activité donnée, dans un lieu donné, à un moment donné.
Si sur la question du besoin d’engagement de la part des organisations, il n’y a actuellement pas trop de débat (dans une conjoncture assez instable, en pérenne transformation, ponctuée de crises de plus en plus rapprochées et longues et dans un contexte d’extrême volatilité des ressources humaines), les intervenants ont cherché à répondre à la question-clé du débat : comment développer l’engagement ?
Alors que l’engagement, comme la motivation, ne peut pas se décréter, il y a néanmoins des conditions qui créent un terrain favorable pour générer de l’engagement.
Cohérence : connaître et comprendre ce qui se passe
S’il est incontournable pour chaque membre d’une organisation de savoir ce que l’on fait (avoir l’information), il est d’autant plus important de savoir pourquoi on le fait (avoir du sens). Dans l’idéal, cette mission découle du « haut de la pyramide » (en entreprise, normalement, le Comité de Direction) et descend en cascade tout au long de la filière managériale. Beaucoup d’encre coule depuis des années sur ce que signifie « donner du sens », et je trouve particulièrement efficace l’éclairage apporté par Simon Sinek lors d’une intervention très inspirante sur TED [vidéo ci-dessous] : dans cette vidéo, Simon se réfère plutôt à la dimension entreprise-consommateur, mais elle peut tout autant s’appliquer à la dimension entreprise-collaborateur.
Le besoin d’information et de sens est commun et transverse à la plupart des cultures, bien qu’il s’exprime de façon différente et soit satisfait par des moyens différents. Une dimension d’observation intéressante pourrait être la dimension temporelle :
- depuis les années 80, nous avons assisté à la naissance du management participatif, du team building et des conventions d’entreprise
- dans les années 2000, nous avons connu l’e-mail et les intranet
- aujourd’hui, nous en sommes aux projets et aux réseaux sociaux d’entreprise.
Réciprocité : établir une relation donnant-donnant
Dans toutes les dimensions observables dans un système socio-économique (entreprise-collaborateur, client-prestataire, état-citoyen), une relation donnant-donnant représente une condition incontournable dans toutes les cultures, afin qu’elle soit satisfaisante pour les parties concernées et s’inscrive dans la durée.
Tout le débat se joue ensuite autour de ce qui fait l’objet d’une relation donnant donnant : peu de mots assument une signification si différente dans le temps et dans les contextes culturels que le mot reconnaissance.
Si en France les dernières enquêtes placent la rémunération en tête des conditions les plus importantes aux yeux des salariés, les rapports avec son manager occupent immédiatement la place suivante.
La rémunération
Si on reste sur la première dimension, celle de la rémunération au sens large (compensation & benefits), quand on est RH sur un périmètre international, on est confronté à ces questions : qu’est-ce qui est important pour les salariés ? Comment les retenir ? Il est indéniable qu’il y a des différences conséquentes entre les différents leviers qui se révèlent les plus efficaces selon les pays. Par exemple, dans les cultures anglo-saxonnes, les négociations tournent souvent autour des salaires, grâce aussi à une législation plus flexible en terme de fixation des rémunérations, tandis que dans les cultures asiatiques, l’accès à des formations diplômantes ou certifiantes d’écoles prestigieuses est un point particulièrement important, et que les cultures du Maghreb et des Pays du Golfe sont très sensibles au statut lié au poste (le titre de manager, de responsable ou de directeur est un signe de distinction important). Sans oublier que certains pays, au-delà de la notion de culture, offrent des systèmes de couverture sociale et de mobilité très divers : un système de bénéfices (complémentaire santé pour la famille, voiture de fonction ou contribution aux transports en commun) peut parfois se révéler plus efficace qu’un niveau de salaire élevé. Finalement, les dernières tranches générationnelles, la Y et la Z, ont des attentes considérablement différentes des générations précédentes, qui sont normalement celles qui recrutent et pensent les politiques de rémunération aujourd’hui. En règle générale, les nouvelles générations sont plus sensibles à la notion élargie de rémunération, plutôt qu’au simple salaire : tout ce qui touche à la possibilité d’aménager son temps de travail et d’acquérir de nouvelles compétences, même très éloignées de son cœur de métier afin de tester plusieurs pistes professionnelles, plutôt que de rester dans une seule filière (ou entreprise). A ce sujet, vous pouvez allez plus loin en lisant mon article sur le management intergénérationnel.
Les rapports avec son manager
Au fil des ans, les organisations ont cherché à réaliser les conditions de l’engagement de façons différentes, en fonction aussi des contextes culturels. Mais il y a un élément constant qui traverse le temps et qui est – comme l’a très bien rappelé Bruno Debatisse, DRH France du Groupe Legrand – la notion de confiance. Comment construit-on la confiance ? Et surtout, qui construit la confiance ? Cette responsabilité pèse de plus en plus non sur l’organisation, qui peut être parfois très abstraite et lointaine, mais plutôt sur le manager, notamment le manager de proximité ou middle management, qui est aujourd’hui plus que jamais la figure centrale dans la vie professionnelle d’un salarié et qui représente l’intermédiaire entre le « haut » et le « bas » de la pyramide.
Tous les managers et tous les collaborateurs sont unanimes, de façon plutôt transverse, à invoquer la confiance comme condition sine qua non à la construction d’une relation de long terme : il suffit de s’entendre sur ce qu’il y a derrière le mot confiance. A titre d’exemple, voici quelques mots-clés qui ressortent lorsqu’on interroge des professionnels d’horizons (pays, entreprises…) différents :
le professeur Sang Seub Lee, Ph.D, Associate Professor à la Dongduk Women’s University et expert de l’interculturel en Corée du Sud, cite comme qualité principale d’un bon manager l’influence, qui représente la profondeur de la connaissance qu’il a de ses équipes, qu’il doit connaître sur le bout des doigts. De l’autre côté, un bon collaborateur doit avoir la bonne attitude, c’est-à-dire qu’il doit être capable de rendre un travail bien fait dans les délais impartis. Le respect de ces conditions est essentiel pour la construction d’une relation solide de confiance, alors que d’autres éléments, comme la verticalité de la relation hiérarchique, pour faire un parallèle avec le modèle français, sont tout à fait anodins.
En Italie, par expérience personnelle, on pourrait évoquer les notions de protection, que chaque collaborateur attend de son manager, et de loyauté, qualité qu’un manager exige de ses collaborateurs. Cette relation s’inscrit, encore une fois, dans une relation hiérarchique plutôt verticale. Ici non plus, cet élément ne pose pas de problème, car chaque partie considère ses attentes satisfaites à partir du moment où les conditions ci-dessus sont respectées.
Appropriation : être en phase avec l’organisation
Qu’est-ce qui fait que nous souhaitons rester dans une organisation ? Qu’est-ce qui nous plaît dans notre organisation et fait en sorte qu’on ait envie d’y rester ? Cette dimension s’affirme de plus en plus dans l’univers de l’entreprise depuis l’arrivée, dans les années 2000, de nos collègues de la génération Y. Ces questions ne se posaient pas à une époque où la France sortait de son deuxième conflit mondial et où la priorité était la reconstruction du pays, où l’impératif était d’avoir un travail pour nourrir sa famille. « Quel travail », « dans quelle typologie d’entreprise » et « avec quel épanouissement personnel » n’étaient pas les sujets au centre du débat, tant qu’on arrivait à gagner suffisamment d’argent pour améliorer ses conditions matérielles et assurer un meilleur avenir à ses enfants. Ce n’est qu’un peu plus tard, avec la génération X, qu’on commence à se soucier de la carrière et de la promotion : le travail devient un moyen (sinon LE moyen) d’affirmer ou de changer son statut social, et l’épanouissement reste donc ancré à des critères essentiellement économiques. Très récemment, au cours des 2 dernières dizaines d’années, les critères ont commencé à tourner vers la satisfaction de besoins davantage liés à ses valeurs, au bien-être de soi et des autres, à l’écologie et au développement durable. A ce sujet, vous pouvez allez plus loin en lisant mon article sur le management intergénérationnel.
Dans certains pays, d’ailleurs, cette période commence juste à démarrer : la Corée du Sud, par exemple, connaît son essor industriel depuis seulement une dizaine d’années et on peut voir la différence dans le comportement de la population, qui sacrifie encore presque tout au travail, car c’est ce dont le pays a eu besoin pour sortir de la pauvreté. La nouvelle génération commence à peine à se poser d’autres questions et à remettre en cause les codes traditionnels (issus souvent du Confucianisme) qui posent un cadre très rigide sur l’ordre dans la société et (autre débat très d’actualité) dans la famille. Par ailleurs, les Coréens n’utilisent pas nécessairement les même critères pour choisir l’organisation avec laquelle ils se sentent en phase : les grandes entreprises sont largement plébiscitées et les plus convoitées sont celles qui donnent du lustre au pays et qui contribuent au rayonnement de la Corée à l’étranger, notamment celles du high-tech (Samsung ou LG) et de l’automobile (comme Hyundai).
Sans aller jusqu’à l’autre bout du monde, en Italie la situation de crise économique qui a commencé après 2000 limite énormément les attentes en matière d’épanouissement. Par ailleurs, là où on a le choix, les critères de choix tournent plutôt autour des grandes entreprises internationales qui peuvent garantir la stabilité et la pérennité de l’emploi, ainsi qu’un salaire correct et, de ce fait, une certaine image auprès de son entourage.
Quelques conclusions
Le défi des managers et des RH est aujourd’hui de trouver un équilibre entre le besoin de pérennité de l’organisation et les besoins d’épanouissement des personnes qui la composent. Besoins qui, comme nous l’avons vu, peuvent changer considérablement en fonction de la culture d’appartenance. A côté de cela, les RH sont confrontés à une classe managériale qui manque de préparation et à un cadre législatif à géométrie variable selon les pays où les organisations opèrent.
Les intervenants de la table ronde ont partagé plusieurs best practices qui ont permis de répondre aux interrogations des managers en termes de modalités de management et à celles des RH en termes d’actions, essentiellement dans les domaines du recrutement, de la formation et de l’accompagnement. Le thème du handicap a aussi été exploré. Quand on opère dans un contexte multiculturel (qui ne veut pas forcément dire international), la mise en place des mêmes politiques de management, de recrutement, de formation ou de rémunération doit nécessairement prendre en compte :
- le cadre législatif : si dans certains pays la flexibilité dont peut bénéficier l’employeur est très élevée (au Qatar, par exemple, le code du travail compte environ 30 pages …), ailleurs l’État pose un cadre assez rigoureux (c’est d’ailleurs le cas de la France en termes d’encadrement du temps et des conditions de travail voire, dans certains cas, des salaires). La loi peut aussi poser des obligations particulières : c’est le cas de la loi sur la formation en France, qui ne trouve pas toujours les mêmes obligations ailleurs (en Italie, par exemple, les obligations sont beaucoup plus légères). C’est aussi le cas du recrutement : si en France on applique assez rigoureusement les principes d’égalité et de non discrimination, ainsi que des quotas pour la présence des femmes dans les ComEx ou des personnes en situation de handicap, dans certains pays issus de la colonisation anglaise (comme l’Afrique du Sud), il est nécessaire de donner priorité à certaines populations avant d’ouvrir les portes à d’autres. C’est le cas aussi de certains pays du Golfe (comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite) où les postes à plus hautes responsabilités sont réservés aux locaux.
- les besoins et les attentes : comme nous l’avons vu, les besoins et les attentes des collaborateurs varient en fonction de plusieurs éléments. Parmi les différences les plus évidentes, il y a certainement les cultures pays et générationnelles, mais il ne faut pas oublier la culture métier ou privé/public. En fonction de la culture d’entreprise, une mobilité ou job rotation fréquente peut être saluée comme très motivante ou totalement déplaisante. Un amènagement de l’espace de travail style open space, très présent en UK par exemple, où l’on privilégie la circulation de l’information et la neutralité de l’espace de travail, est souvent source de malaise en France, où les collaborateurs privilégient des bureaux fermés (même si pas forcément individuels) pour des raisons liées à la confidentialité ou à la possibilité de personnaliser les espaces.
- les valeurs : rien d’autre que les valeurs ne dépend plus de la culture. Des solutions d’aménagement du temps ou du lieu de travail, comme le télétravail ou smartworking, plébiscitées dans des environnements anglo-saxons, rencontrent de forts obstacles dans des cultures plutôt axées sur le contrôle, comme l’Italie ou la Corée du Sud, où le temps de travail est souvent lié à la paie. En France il y a aussi des obstacles, mais pour des raisons différentes, qui font plutôt appel à l’égalité de traitement de tous les collaborateurs, occasionnant des limites à toute forme de management différencié.
Un débat passionnant, mené avec intelligence et professionnalisme par les étudiants de 3ème cycle « Responsable en Gestion des Ressources Humaines » à qui je dis encore MERCI et BRAVISSIMO pour le succès de cet événement. Vivement le prochain !
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[1] Chaque année les étudiants du cycle « Responsable GRH » organisent un colloque de réflexion sur le management des ressources humaines, à destination d’un public de professionnels RH, chefs d’entreprises et d’étudiants.
[2] Créé en 1975, ISFOGEP, en partenariat avec l’ESSEC Business school, est l’une des écoles les plus réputées en France dans le domaine RH. On y propose deux cycles de formation : Assistant RH, doublé d’un titre de gestionnaire de paie (bac +3), et Responsable en Gestion des Ressources Humaines (bac +5).