Grand Prix de Formule 1 de Russie : la victoire d’une équipe ou le sacrifice d’un pilote ?

individualisme et collectivisme
Catégorie: Squadra
Date: 1 octobre 2018
Auteur: Sara Gallinari
A propos de l'auteur: De nationalité italienne, Sara a plus de 15 ans d’expérience dans des rôles RH au sein de grands groupes internationaux, en Italie puis en France – où elle vit et travaille depuis 2007. En 2017, elle a décidé de partager son expertise dans les relations entre la France et l’Italie, en créant AI°FI.

[vc_row][vc_column][vc_column_text]Je cite aujourd’hui Le Figaro Sport 24 et son article « Russie : Mercedes fait gagner Hamilton« , écrit par Alexis Relandeau-Descamps (publié le 30/09/2018 à 12h31 et mis à jour le 30/09/2018 à 14h41), pour commenter ce qu’il s’est passé hier au Grand Prix de Formule 1 de Russie.

Soyons clair, je ne comprends presque rien à la Formule 1 et je ne la suis pas, mis à part le fait que, en bonne italienne, je supporte Ferrari quoi qu’il arrive 🙂 ! Mon analyse ne touchera donc pas à la partie technique, mais mettra plutôt l’accent sur l’approche : priorité à l’équipe ou priorité à l’individu ?[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][separator headline= »h2″ title= »Le contexte »][vc_column_text]

individualisme et collectivismeQu’est-ce qui s’est passé au Grand Prix de Formule 1 en Russie ?

Posons d’abord le cadre. Je cite textuellement l’auteur de l’article : « Bien aidé par son écurie qui a demandé à Valtteri Bottas de le laisser passer, Lewis Hamilton s’est imposé à Sotchi ce dimanche pour conforter sa place de leader au classement des pilotes. »

Pour résumer, la course était menée par Verstappen (Red Bull), alors que Bottas et Hamilton (les deux Mercedes) étaient respectivement à la 2ème et à la 3ème place. Mais Verstappen devait encore effectuer son arrêt aux stands, ce qui l’aurait pénalisé dans la classification et qui aurait amené Bottas en tête. C’est à ce moment que Toto Wolff, le patron de Mercedes, « ordonnait à Bottas de laisser passer son leader (Hamilton, ndr) au tour 25. Une décision compliquée à accepter pour le Finlandais mais bénéfique pour Hamilton » qui, « conscient que Verstappen devait s’arrêter, avait alors course gagnée. » Comme prévu, Verstappen « effectuait son seul arrêt à dix tours du terme du Grand Prix et cela permettait à Hamilton de prendre la tête pour ne plus la lâcher. » Une fois le danger écarté, « Bottas demande à son écurie s’il va repasser en tête mais l’écurie lui répond que » les positions vont rester telles quelles jusqu’à la fin de la course. Bottas finit 2ème. Dans la scuderia l’ambiance est tendue, malgré la victoire. Pour conclure, Hamilton va remercier Bottas et célèbre publiquement son élégance aux microphones, ce qui ne fait pas sourire Bottas pour autant, qui reste amer quand il est sollicité à son tour par la presse.[/vc_column_text][vc_row_inner][vc_column_inner][separator headline= »h2″ title= »Un angle d’analyse »][vc_column_text]

individualisme et collectivismeIndividualisme et collectivisme

J’ai souhaité analyser cet épisode en utilisant une des dimensions culturelles identifiées par Geert Hofstede, psychologue social et anthropologue hollandais connu pour ses études sur les différences interculturelles : le collectivisme vs. l’individualisme.

Cette dimension décrit « le degré auquel les individus sont intégrés aux groupes », elle n’a aucune connotation négative, c’est le pivot de la société qui est différent. Tout simplement, les cultures individualistes mettent l’individu au centre et attachent une importance prioritaire à la réalisation des objectifs personnels. Dans les cultures collectivistes, les objectifs du groupe (la famille ou l’entreprise par exemple) et son bien-être priment sur l’individu.

En gros, cette dimension explique comment les citoyens valorisent l’autonomie, l’engagement envers les règles de la société et la loyauté envers un groupe auquel appartient l’individu.

Voici quelques éléments de distinction :

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Culture à orientation individualiste

L’individu est responsable de son sort et se réalise de façon indépendante du groupe.
La satisfaction des intérêts personnels et la performance individuelle sont des valeurs incontournables.
La compétition est vue positivement.
Le style de communication est plutôt direct.
Le conflit est acceptable.
Séparation marquée de la vie professionnelle et de la vie
personnelle.

 

Le degré d’individualisme est plus fort dans les pays à potentiel économique élevé, où les individus sont moins dépendants du groupe pour trouver sécurité et soutien économique. Selon les études réalisées dans ce sens, les pays qui entrent davantage dans cette approche sont plutôt les pays anglo-saxons.

[/vc_column_text][/vc_column_inner][vc_column_inner width= »1/2″][vc_column_text]

Culture à orientation collectiviste

L’individu se réalise dans un groupe, liens très forts / dépendance de l’individu envers un groupe.
L’esprit d’équipe et la loyauté sont des valeurs incontournables.
Collaboration plutôt que concurrence.
Faible séparation entre vie professionnelle et vie personnelle.
Style de communication plutôt indirect, il est très important de ne pas (faire) perdre la face.

 

Le degré d’individualisme est moins fort dans les pays à potentiel économique faible, où les individus sont obligés de faire appel au groupe pour trouver sécurité et soutien économique. Selon les études réalisées dans ce sens, les pays qui entrent davantage dans cette approche sont plutôt les pays africains et asiatiques.

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individualisme et collectivismeL’analyse de l’épisode en clé interculturelle

Après avoir posé le contexte et donné quelques éléments d’analyse, il est intéressant maintenant de répondre à cette question. Précisons que les 2 pilotes, Hamilton et Bottas, sont respectivement Anglais et Finlandais, qu’ils appartiennent aux groupes culturels anglo-saxon, à tendance plutôt « individualiste », et de l’Europe du Nord, aussi « individualiste », même si avec des traits un peu différents.

Le choix stratégique de Mercedes, entreprise allemande (avec des traits décidément moins évidents), a été fait dans l’intérêt de l’équipe (la collectivité), allant à l’encontre de l’intérêt du 2ème pilote (l’individu). Ce choix a éloigné le risque de la perte possible de la 2ème place du 1er pilote, qui aurait pu tomber en 3ème place à cause de soucis techniques qui auraient pu le pénaliser. Le risque existait, bien que l’avantage de Mercedes sur Ferrari à ce moment-là était déjà considérable : ce choix était-il vraiment nécessaire ? Pour le comprendre, il serait intéressant d’évaluer aussi la dimension culturelle de l’aversion au risque, plutôt basse dans la culture allemande, mais ce serait sans considérer les enjeux économiques du Grand Prix (et oui, la culture n’explique pas tout !).

Le 2ème pilote s’est soumis à la décision de l’entreprise (l’autorité, le pouvoir) en renonçant à celle qui aurait pu se transformer dans une belle victoire, la 1ère de la saison, par ailleurs. Malgré le choix assumé, il n’a pas caché sa déception : pour qui a écouté son interview, juste après celle de Vettel (Ferrari), vous avez pu l’entendre dire qu’il existe aussi, à côté du Championnat Constructeurs, le Championnat Pilotes, ce qui pourrait être compris comme une revendication du droit de l’individu à poursuivre son intérêt en parallèle de celui de sa scuderia.

Le 1er pilote, de son côté, s’est aligné et a saisi l’opportunité de la victoire, la 70ème pour lui personnellement. Malgré le choix assumé, il n’a pas caché sa gêne, dans l’interview et finalement sur le podium, où il célèbre de façon plutôt mitigée et profite d’une occasion pour appeler Bottas à monter avec lui sur la première marche.

Ceux qui soutiennent le choix de Mercedes pourront argumenter que la priorité est la victoire de la scuderia (qui a tout intérêt à gagner le Championnat Constructeurs) et que les intérêts personnels des pilotes sont secondaires, car sans scuderia ils perdraient leur travail et qu’il n’y a pas de place pour les égos face à de tels enjeux.

Ceux qui déplorent le choix de Mercedes pourront argumenter que Bottas avait le droit de jouer ses cartes, que sa victoire était largement méritée et que l’esprit sportif a été pénalisé. Peut-être même que la victoire de Hamilton est une fausse victoire, car sans l’intervention de la scuderia, il serait sans doute arrivé au moins 2ème, peut-être même pas.

Ces prises de position, toutes légitimes, ne sont rien d’autre que l’expression d’un trait culturel bien précis, qui se positionne de façon plus ou moins nuancée sur l’axe de la dimension « rapport au groupe / individu ».

Et vous, quel est votre positionnement sur cet épisode ?[/vc_column_text][/vc_column_inner][/vc_row_inner][vc_row_inner][vc_column_inner][separator headline= »h2″ title= »La méthode de G.Hofstede »][vc_column_text]

individualisme et collectivismeL’approche quantitative

La théorie de G. Hofstede – décrite dans son ouvrage « Cultures et Organisations » – est basée sur l’idée que toute culture peut être observée à travers 6 dimensions culturelles : la relation au pouvoir (égalité vs. inégalité), le collectivisme (vs. l’individualisme), l’évitement de l’incertitude (vs. l’acceptation de l’incertitude), la masculinité (vs. la féminité), l’orientation temporelle (long terme vs court terme) et le plaisir (vs. la modération).

Pour arriver à ce modèle, G. Hofstede a mené en 1971 une étude quantitative, c’est-à-dire basée sur des questionnaires et sur une échelle d’évaluation (qui dans son cas va de 1 à 120). Son analyse, entièrement menée chez IBM, a touché 72 filiales et 38 professions. Elle a été réalisée à travers 116 000 questionnaires d’une centaine de questions, dans 25 langues.

Les 2 dernières dimensions, l’orientation long terme/court terme et la dimension plaisir/modération, ont été rajoutées en 2010, suite aux recherches complémentaires de Michael Harris Bond et Michael Minkoy, qui ont mené à une nouvelle édition de l’ouvrage « Cultures et Organisations ».

Les limites du modèle

Si l’avantage de cette approche est l’existence de dimensions qui peuvent servir de point de départ pour une analyse, les limites résident dans le profil de l’échantillon (uniquement l’univers de l’entreprise et une seule entreprise) et dans l’analyse uniquement quantitative. Mais, comme G. Hofstede le disait lui-même, cette approche n’est qu’un point de départ qui mérite d’être complété par des études plus qualitatives et élargies.[/vc_column_text][/vc_column_inner][/vc_row_inner][/vc_column][/vc_row]

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